Louis Georges, qui avait pratiqué le judo au Québec et en France, était insatisfait, voire même découragé de l’orientation que prenait le groupe auquel il appartenait. Aussi, il décida de fonder un club indépendant où il pourrait continuer à pratiquer le judo qui l’avait séduit à ses débuts. Il fit part de son projet à M. Bonnet Maury, qui était secrétaire général de la Fédération internationale. Celui-ci l’encouragea en ce sens et lui offrit tout son appui. Maître Michigami fit de même; c’est d’ailleurs lui qui lui donna le nom de club « Hakudokan »- qui se traduit par établissement où l’on enseigne la voie de la pureté – c’est-à-dire un judo traditionnel. Coïncidence curieuse, Maître Michigami se prénomme également Haku. Louis Georges Arpin se mit donc en quête d’un local, et c’est dans sa municipalité d’Outremont qu’il dénicha une salle paroissiale polyvalente adjacente à l’église Sainte-Madeleine. L’entente fut alors prise avec les autorités ecclésiastiques pour utiliser ce local le samedi.
Louis Georges prit ensuite contact avec Jacques About, récemment promu ceinture noire, qui avait commencé à enseigner le judo au collège Stanislas situé à quelques rues de l’église Sainte-Madeleine. C’est à ce collège que nait le 1er groupe de judokas qui sera la pépinière de l’Hakudokan pendant plusieurs années.
M. Georges Serei, un ceinture noire de France qui venait d’émigrer à Montréal et qui désirait continuer la pratique du judo et l’initier à ses enfants (Pascal et André, alors respectivement âgés de 5 et 8 ans), offrit de donner les cours du samedi pendant quelque temps. Nul doute que cette offre tombait à point.
Louis Blanc venait de rejoindre le club, afin de retrouver une ambiance qui lui était chère et de pratiquer un judo plus familier. En fait, il avait déjà étudié le judo à Lyon en France pendant un certain temps. Il offrit donc spontanément sa collaboration.
Le projet se concrétisa rapidement. Dans un premier temps, les judokas, tous des jeunes du collège Stanislas, parmi eux, il faut mentionner André Moffet et Jérome Tibergeu, sous la direction de Jacques About, insufflèrent de la vie au club Hakudokan; puis ce fut des jeunes du quartier qui vinrent grossir les rangs à la suite d’une campagne de sensibilisation axée sur le judo. Le club Hakudokan ne tarda pas à se faire connaître dans toute la métropole.
Plusieurs émigrants européens, et particulièrement français, ayant pratiqué le judo dans leur pays d’origine s’inscrivirent d’emblée. Parmi eux, nous retrouvons Jacques Rio et Xavier Ramette, tous deux très dévoués au club, respectivement ceinture verte et bleue, qui obtinrent leur ceinture noire par la suite.
Les années 1959/1960 s’avérèrent des années palpitantes pour ce jeune club qui ignorait tout de sa destinée, ne comptant que sur l’enthousiasme de ses pionniers.
Le dynamique Jacques About ouvrit plusieurs autres sections. C’est ainsi que l’on retrouva entre autres l’Hakudokan Stanislas, bien sûr, mais aussi l’Hakudokan Mont Saint-Louis (aujourd’hui, Cégep du Vieux Montréal) et l’Hakudokan Notre-Dame. Il avait visé juste en s’implantant dans ces établissements scolaires.
À mon arrivée à Montréal, c’est donc un petit groupe plein d’enthousiasme que je rencontrai. Au cours de l’été 1959, j’avais mûri le projet de venir au Canada pour une année ou deux, à la suggestion de MM. Bonnet Maury et J. L. Jazarin. Malgré une proposition de la Fédération vénézuélienne qui m’offrait un contrat d’un an, je décidai de venir au Canada sans contrat et de voir la situation sur place. D’une part, j’avais l’assurance de M. Bonnet Maury qu’un billet d’avion me parviendrait au besoin pour permettre mon retour; et d’autre part j’avais un ami ici, celui-là même qui m’avait donné la piqûre du judo. J’écrivis donc à Moïse Gauthier, un ami de longue date et ceinture marron, qui était à Montréal depuis quelques années (3 ans). Il m’assura que je prenais la bonne décision.
J’avais reçu de la documentation ainsi qu’une bonne explication de la situation du judo au Canada et particulièrement au Québec; de plus, on m’avait remis un numéro de téléphone et le nom d’une personne à contacter dès mon arrivée. Aussi, deux jours après mon débarquement, je rencontrai Louis Georges Arpin qui m’accueillit à bras ouverts et passa plusieurs heures à me brosser le tableau du judo de l’époque. En outre, il me proposa d’emblée la direction technique du Collège des ceintures noires d’expression française qui venait d’être créé quelques jours auparavant.
Je rencontrai également René Lalonde, qui était devenu « indépendant » et qui dirigeait un dojo très actif en plein centre-ville. D’ailleurs, c’est là que mon ami Momo avait repris l’entraînement, puisqu’il n’avait qu’une rue à traverser pour se retrouver sur le tapis de René. Je l’accompagnai donc à plusieurs reprises pour m’entraîner aussi.
Quelque temps après, malgré les efforts de Louis Georges Arpin, la disponibilité du local de Sainte-Madeleine devint de plus en plus problématique, jusqu’au jour où l’on nous annonça que nous devions libérer les lieux dans deux mois. Une bien mauvaise nouvelle au moment même où tout semblait « baigner dans l’huile ».
Deux mois plus tard, nous avions terminé l’entraînement du Collège des ceintures noires et plié bagage.
Une semaine après, nous étions relogés dans le gymnase de l’école Querbes à Outremont, où nous devions pratiquer sur des tapis gris qui partaient de tous bords tous côtés. Durant plus d’un mois, nous eûmes cours trois soirs par semaine; mais après plusieurs mois, la direction nous enleva le samedi au profit des activités des scouts et finit par nous réduire au mercredi seulement. C’est alors que la mouche me piqua ! Je fis part à mes compagnons de mon idée d’ouvrir un dojo privé, mais une telle aventure ne souriait à personne. Georges Serei caressait des projets personnels d’une tout autre envergure, Jacques About nourrissait un rêve qu’il espérait bien réaliser, aller au Japon pour s’entraîner et éventuellement prendre part aux Olympiques de 64. Quant aux autres, toute cette aventure les avait vraiment mis à bout de souffle. Je décidai donc de louer un modeste local (en fait un garage) et d’en faire un véritable dojo auquel nous pourrions avoir accès 365 jours par année, 24 heures par jour.
Aidé de tous, je passai le quartier au crible pour dénicher un local approprié. Dans la ruelle située à l’arrière du 5247 de la rue Hutchison, nous trouvâmes un grand garage à louer. Après l’avoir visité, je fus un peu découragé de voir tous les travaux à faire pour que cela ressemble à un « dojo ». C’est un de mes cousins, qui était entrepreneur en électricité, et ses amis experts en construction, qui m’assurèrent qu’il n’y avait aucun problème et qu’en quelques jours tout pourrait être prêt pour la peinture et un peu de décoration.
Ayant obtenu un emprunt de la banque, malgré l’absence de garanties, je signai un bail de cinq ans avec le propriétaire du garage. Ainsi, le début de l’année 1961 (mars) vit la reprise des activités du club Hakudokan. Mon intention première était d’y enseigner le judo et l’aïkido, les cours de judo accaparèrent presque tout l’horaire, à la fin de chaque cours quelques minutes étaient réservées à ceux qui aimaient l’aïkido. Le club était petit, mais très chaleureux. Ces cinq années de garage m’ont laissé de très bons souvenirs, empreints d’une certaine nostalgie. L’ampleur et l’enthousiasme du groupe, ainsi que les nouveaux travaux à effectuer, nous obligèrent à déménager dans un local plus grand et aussi plus accessible. Les séances de pelletage, les jours de tempête, sont restées mémorables!
La chasse aux locaux débuta au cours de l’été 1966. Nous visitâmes des dizaines d’endroits dans divers quartiers de Montréal, sans compter l’élaboration de nombreux plans d’aménagement. Finalement, c’est au coin d’Henri-Bourassa et Lajeunesse que par un pur hasard, je trouvai le local recherché.